En mai 2025, Garfield.Law a reçu l’agrément de la Solicitors Regulation Authority, l’autorité qui supervise la profession de solicitor en Angleterre et au pays de Galles. Cette plateforme, pilotée par l’IA et pensée pour les litiges de faible valeur, permet à un particulier d’initier seul une procédure de recouvrement: elle génère les documents, assemble le dossier et accompagne le justiciable jusqu’à l’audience. Le tout, pour des créances jusqu’à 10.000 livres sterling, sans qu’aucun conseil humain n’intervienne – un premier signal fort pour les acteurs du droit.
Un parallèle peut être tracé avec le Luxembourg. Parmi les compétences reconnues à la justice de paix figure le traitement des différends civils et commerciaux jusqu’à la valeur de 15.000 euros. La procédure y est orale, et la représentation par avocat reste facultative. Ce cadre n’exclut pas, à terme, l’émergence d’outils d’assistance automatisée du même type que Garfield.Law.
La possibilité d’utiliser l’IA ne se cantonne pas au prétoire. Dans la pratique quotidienne, elle assiste déjà les praticiens dans la rédaction de clauses, la génération assistée de mémos, l’extraction de données clés ou encore la revue d’avis juridiques. Ces fonctionnalités passent par des IA spécialisées ou des assistants conversationnels – Copilot et consorts – intégrés aux environnements de travail. Il ne s’agit plus d’expérimentations isolées: ces usages se déploient, se normalisent et redessinent la chaîne de production.
Exploiter efficacement ces outils exige cependant davantage qu’un simple clic d’activation. Encore faut-il apprendre à collaborer avec l’IA, en encadrer le périmètre et en vérifier la fiabilité. Les bénéfices sont nets: gain de temps, standardisation, montée en capacité. Les limites, elles, demeurent réelles: hallucinations, biais, rigidité des raisonnements, incertitude sur les sources. Aucun algorithme ne décèle la subtilité d’un contexte, ne perçoit l’intention d’une partie adverse, ni n’endosse la responsabilité ultime d’une décision stratégique.
Entretemps, le cadre réglementaire se précise. Le règlement européen n° 1689 établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle – l’AI Act – est désormais en vigueur, et le projet de loi luxembourgeois n° 8476 vise à en définir les contours d’application au Grand-Duché. Pourtant, la mutation reste essentiellement opérationnelle: elle dépend de l’appropriation concrète de la technologie par les professionnels du droit.
En formant les équipes, en nommant des référents, en posant des règles d’usage claires et en testant des scénarios concrets, l’IA peut devenir un levier stratégique plutôt qu’un facteur de risque. Certaines entreprises ont déjà engagé cette transition: sessions de sensibilisation, diffusion de bonnes pratiques, responsabilisation des juristes dans la validation des contenus générés. Cette dynamique mérite désormais d’être consolidée.
Dans cette perspective, l’idée d’une éventuelle substitution du juriste par l’IA ne tient pas. C’est même l’inverse: une synergie s’instaure. L’IA encourage en effet le juriste à se recentrer sur ce qui fait sa valeur – rigueur, analyse et sens des responsabilités.
Cet article a été publié pour la première fois par Paperjam.